«Que se passe-t-il, j'y comprends rien, y avait une ville et y a plus rien... Y a plus rien qu'un désert...» Prémonitoire, la chanson de Claude Nougaro! Depuis les années 70 et la 1re Conférence mondiale sur l'environnement - Stockholm, 1972 - on le sait: la Terre est fragile à en mourir. «Nos modes de production et de vie portent de plus en plus gravement atteinte à la planète, jusqu'à menacer les conditions mêmes qui y ont rendu la vie possible!» s'exclame Michel Beaud, économiste, professeur à l'université Paris VII, responsable de l'ouvrage «L'Etat de l'environnement» (La Découverte).
La plus sérieuse des menaces? La démographie galopante. «Nous sommes aujourd'hui proches de la saturation, affirme Albert Jacquard, conseiller scientifique à l'Ined (Institut national d'études démographiques) et auteur de ?Voici le temps du monde fini'' (Seuil). La population croît à un rythme effréné. Au début de l'ère chrétienne, il y avait 250 millions d'hommes sur terre, 450 millions à la Renaissance, 1,5 milliard en 1900, 2,5 milliards en 1950. Aujourd'hui, nous sommes 5,4 milliards et nous serons - les prévisions de l'ONU sont très fiables - 10 milliards en 2075. Avec des disproportions énormes d'un continent à l'autre.» Comment la Terre pourra-t-elle supporter tant de monde? Mal, très mal. 10 milliards d'individus impliquent un pillage accru des richesses naturelles, une pollution en augmentation, des flux migratoires en expansion. «Il y aura une dérive des continents humains, poursuit Jacquard, donc une formidable pression de l'immigration vers les pays les plus riches. Un phénomène qui sera source de conflits mondiaux.» Combien la Terre peut-elle accueillir d'êtres humains? Pas plus de 700 millions, s'ils veulent tous avoir le niveau de vie des Parisiens. Mais peut-être 20 milliards, s'ils acceptent celui des paysans du Bangladesh. Cette bombe démographique est le revers de la médaille de nos formidables victoires en médecine, qui sauvent la vie de millions d'enfants. Existe-t-il un moyen d'empêcher la prolifération des individus? Oui, l'éducation. «Plus les petites filles sont éduquées, affirme Jacquard, moins elles font d'enfants. Alors, multiplions par 1 000 les aides à l'enseignement.» Mais il faut faire vite, très vite. Car la pression humaine engendre la désertification d'immenses territoires. Des régions entières deviennent stériles, incapables de nourrir les autochtones. Actuellement, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, 30 millions de kilomètres carrés sont déjà rongés par le désert, qui s'accroît de 6 millions d'hectares par an. Tandis que les paysages dénudés s'étalent à la surface de la planète, les forêts équatoriales et tropicales rétrécissent comme une peau de chagrin. Par la faute de l'homme: surexploitation du bois et surpâturages qui empêchent la repousse, défrichement massif pour agrandir les terres cultivables, etc. La forêt tropicale disparaît à la vitesse de 80 000 kilomètres carrés par an, soit pratiquement la superficie de l'Autriche. Selon François Ramade et Thierry Caquet, de l'université Paris-Sud Orsay, au rythme actuel, les forêts pluvieuses auront totalement disparu, d'ici au milieu du siècle prochain. Avec quelles conséquences? D'abord, une augmentation de l'effet de serre, due à l'accroissement de la teneur en gaz carbonique; ensuite, une réduction des précipitations et un réchauffement des sols, une érosion accrue; et, enfin, la disparition de très nombreuses espèces animales et végétales. Près de 100 000 sont déjà rayées de la surface du globe tous les ans, sur un total, incertain, compris entre 5 et 30 millions. Hier, les grandes extinctions étaient dues aux caprices de la nature: éruptions volcaniques, glaciations, accidents cosmiques. Aujourd'hui, «l'homme en est la cause essentielle - écrivent Michel Chauvet, ingénieur agronome, et Louis Olivier, botaniste, responsable du Conservatoire botanique national de Porquerolles, dans leur ouvrage ?Biodiversité'' [éd. Sang de la terre] - et il est incontestable que le taux d'extinction s'est considérablement accru. Pour les mammifères, 140 sont sur la liste des espèces en danger, soit plus du double de ceux qui ont disparu depuis quatre cents ans. Le rythme actuel des extinctions est supérieur de plusieurs ordres de grandeur à celui de l'apparition de nouvelles espèces». Le nombre des variétés domestiques est en chute libre. Imaginons que des virus s'attaquent aux poules, aux cochons, aux vaches ou déciment le blé, le riz. C'est la famine assurée pour les trois quarts de la planète. «La disparition d'une seule espèce doit être considérée comme une perte irremplaçable, écrit Jacques Lecomte, de l'Unesco, dans ?L'Etat de l'environnement''. Songeons aux innombrables plantes dont l'industrie pharmaceutique a tiré des molécules aux prodigieuses propriétés. Songeons aussi aux espèces qui jouent un rôle essentiel dans l'équilibre des écosystèmes. La disparition d'un insecte qui transporte du pollen peut ainsi avoir des conséquences incalculables.» Tout comme l'apparition incontrôlée d'une nouvelle forme de vie. Les «organismes du futur», les plantes, les levures, les microbes, les virus, les animaux transformés par génie génétique pullulent désormais dans les labos. Que se passerait-il si une sale bactérie s'échappait dans la nature? Si un virus créé par un fou empêchait, par exemple, la réalisation de la photosynthèse, source de l'oxygène? Un désastre planétaire. A ses risques et périls, l'homme joue les apprentis sorciers avec les êtres vivants.
L'OZONE, PARASOL MITÉ
Il agit de même avec la fragile couche d'air qui entoure et protège la Terre. La nature a bien fait les choses. Pour préserver les êtres vivants du rayonnement ultraviolet du Soleil capable de détruire les cellules, de ralentir la photosynthèse, elle a inventé la couche d'ozone, qui absorbe les rayons nocifs. Mais, aujourd'hui, ce parasol naturel se mite, s'effiloche. Parce que les quantités de méthane, d'oxyde d'azote et, surtout, de composés organo-halogénés - les fameux chlorofluorocarbones, ou CFC - ne cessent d'augmenter. Or, lorsqu'ils grimpent dans la stratosphère, ils se décomposent et cassent à leur tour l'ozone protecteur. Leurs origines? Les activités humaines - voitures, agriculture, élevage, industries du froid, solvants, aérosols, mousses synthétiques... «Au cours des années 70 et 80, il y a eu une perte de 6% de l'ozone par décennie, dans les régions de haute et de moyenne latitude», écrit Gérard Megie, de l'université Paris VI. Un phénomène irréversible? On l'ignore. En tout cas, les Etats ont ratifié, en janvier 1987, le protocole de Montréal afin de faire la chasse aux CFC. D'ailleurs, ceux-ci jouent aussi un sale tour au climat. Ils font partie des gaz à «effet de serre», ceux qui emprisonnent le rayonnement infrarouge émis par la Terre. Les autres coupables: le gaz carbonique provenant de la combustion de la houille et des hydrocarbures, le méthane, le protoxyde d'azote. Tous, une fois encore, produits par l'homme. Les émissions de carbone s'accroissent au rythme de 3% par an. En 2010, elles auront doublé, et triplé en 2050. Résultat: la température terrestre devrait s'élever de 1,5 à 4,5 °C, selon les prévisions de l'IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), en 2010. La Terre changera alors d'allure. Là où il y avait des forêts, on verra du blé. Là où la betterave était reine poussera la vigne. Le maïs apparaîtra en Suède et dans le nord de l'Ecosse. La France ressemblera à une steppe épineuse, ponctuée de forêts sèches, précisent Muriel Grimaldi et Patrick Chapelle dans leur ouvrage «Apocalypse, mode d'emploi» (Presses de la Renaissance). Quelques forêts humides subsisteront sur les reliefs (Alpes, Jura, Massif central). Les déserts enfleront. Les mers aussi. Avec 0,5 mètre d'augmentation du niveau de la Méditerranée, Arles deviendrait un port. Dans le pire des cas, précise l'IPCC, des pays entiers, comme le Bangladesh et les îles Maldives, cesseront d'exister à la fin du siècle prochain.
L'avenir est-il si sombre? Pas sûr. Les modèles climatiques, complexes, ne sont pas encore suffisamment précis. Peut-être éviterons-nous le pire. Nous voici condamnés à vivre dans l'incertitude. D'autant que d'autres périls pèsent sur notre monde fragile. Une guerre atomique mondiale engendrerait d'effroyables incendies qui projetteraient dans l'atmosphère d'énormes quantités de poussière et de suie. Le titanesque couvercle empêcherait la lumière du Soleil de parvenir jusqu'au sol. Un froid terrible menacerait la vie sur Terre. Ce serait l' «hiver nucléaire», comme l'ont baptisé les spécialistes de Scope (Scientific Committee on Problems of the Environment) qui rédigèrent le premier rapport sur le sujet.
«Les capacités prédatrices et destructrices de l'homme sont, aujourd'hui, sans commune mesure avec ce qu'elles étaient il y a un siècle», assure Michel Beaud. «Il faut être poli avec la Terre», écrivait joliment Jacques Prévert. Depuis qu'il l'industrialise à outrance, qu'il la pille et l'exploite, l'homme se montre franchement grossier.